Chapitre 6 Confiance et réduction des risques

Les notions de confiance et de réduction des risques sont utiles pour choisir comment utiliser des outils numériques. Dans ce chapitre, on évoquera le sexe, la drogue et le rock’n’roll, des contextes dans lesquels ces notions ont déjà été réfléchies. Comme le numérique, ces pratiques peuvent être fun, mais comportent souvent des risques.

6.1 Réduction des risques

Travailler sur un chantier ou à un bureau ;
partager des bijoux de piercing, des sextoys, ou sa brosse à dents ;
se connecter à Internet ou utiliser des outils numériques ;
monter dans une voiture ou faire du vélo…
Toutes ces pratiques comportent des risques… et on peut les réduire !

Comme le dit Act Up : « information = pouvoir ». En effet, le savoir et la compréhension des choses permettent de prendre plus de plaisir en prenant moins de risques, sachant que le risque zéro n’existe pas. Aussi, la notion de risque est relative, elle comprend tellement d’aspects différents qu’il faut en discuter pour pouvoir les comprendre et les cerner131.

Diffuser de l’information relative aux risques est d’autant plus important que lorsqu’un virus est présent, autant dans l’organisme que dans un ordinateur, il n’y a pas forcément de signe visible. C’est pour cette raison que du point de vue de la santé, il est conseillé de ne pas attendre d’avoir des symptômes pour agir, et de faire régulièrement des dépistages. Ou par exemple, au niveau numérique, les mises à jour régulières permettent de réduire les risques d’infection en corrigeant les failles de sécurité.

De nombreuses personnes passent du temps à faciliter la réduction des risques : en distribuant des brochures d’information, mais aussi des capotes, des Roule-ta-paille ou des bouchons d’oreille. Et dans la même logique, des gens développent des logiciels, écrivent de la documentation, animent des ateliers d’autodéfense ou d’intimité numérique.

Pour qu’utiliser le chiffrement soit aussi facile qu’enfiler un casque de chantier ;
pour en savoir autant sur le clitoris que sur la mémoire vive ;
pour que l’usage de Tor soit aussi simple que celui des bouchons d’oreille ;
parce que tout compte fait, se masturber et chercher des images de fond d’écran pendant des heures rend la vie plus agréable et ne devrait pas être risqué !

6.2 Une histoire de confiance

La confiance accordée aux équipements numériques, aux logiciels et aux réseaux, c’est comme la confiance accordée aux garagistes : on peut les croire, ou pas. De la même manière, on peut avoir plus ou moins confiance en l’équipe de développement d’un logiciel132.

Cette super application chiffre complètement toutes vos données !
Ce casque protège votre tête en cas d’accident !
T’inquiète pas, je n’ai pas pris de risque !

Les affirmations de ce genre ne sont pas suffisantes pour construire un rapport de confiance. Il convient de se poser des questions, de dépasser les évidences.

Si une application annonce chiffrer complètement les données, on peut se demander quel est le système de chiffrement et si cette méthode est approuvée par les communautés en qui nous avons confiance. On peut aussi se demander si ce ne serait pas du marketing mensonger.

De la même manière, quand on partage de la sexualité, on peut discuter de ce que l’on considère comme une prise de risque, et quelles sont nos limites, nos pratiques ou notre rapport à la réduction des risques et au dépistage.

Se poser les questions suivantes aide à évaluer la confiance qu’on pourrait avoir dans un outil :

  • Pourquoi cet outil a-t-il été developpé ?
  • Est-il libre ?
  • Quel est son modèle économique ?
  • À qui doit-il rendre des comptes ?

Mais tout ça n’est pas juste une question de risques et de confiance. On parle de simple risque quand il n’y a pas de volonté de nuire à des personnes, des groupes, des idées, etc. ; dans le cas contraire, c’est une menace.

Le risque, c’est de s’abimer les mains en arrachant des ronces sans gants, la menace c’est le patron qui met au placard ses salariées syndiquées ;
le risque, en conduisant ivre, c’est d’avoir un accident, la menace c’est de se faire retirer son permis de conduire ;
le risque, quand on n’a pas fait de sauvegarde, c’est de perdre toutes ses données si un disque dur plante, la menace c’est que la police perquisitionne le lieu d’activité militante où il est stocké ;
le risque c’est un bug dans un logiciel qui fait planter l’ordi, la menace c’est Cambridge Analytica qui utilise les données des comptes Facebook pour influencer les résultats des élections.

Bien sûr, c’est plus compliqué : il y a des risques de menace et des menaces peuvent engendrer des risques !

La question de la menace n’est pas uniquement individuelle, puisqu’en ne prenant pas certaines précautions, on peut exposer les personnes avec qui on communique.


  1. C’est pourquoi, dans les années 90 dans le champ des toxicomanies, on a arrêté de parler de prévention pour parler de réduction des risques. Dans le champ de la sexualité, des gens ont arrêté d’utiliser safe sex pour utiliser plutôt safer sex.↩︎

  2. On peut se poser cette question de la confiance avec à peu près toutes les spécialistes : les journalistes, les toubibs, les paysannes, les charpentières, les ingénieures, les flics, les commerçants, les tatoueuses, les maçonnes, les pilotes (d’avion, de train, de bus, etc.), les urbanistes, les coiffeurs, les architectes, les pharmaciennes, les profs, les artistes, les surveillantes de baignade, les aides soignantes, les infirmières, les boulangères, les politiciennes, les factrices, les psys, les agentes d’accueil (de la CAF, de la MSA, de Pôle emploi, etc.), les comptables, les commerciaux, les vétérinaires, les DRH (Directrices de Ressources Humaines), les scientifiques, les artisanes, les cuistots, les vigiles, les banquières, les ouvrières, les sportives, les coachs, les électroniciennes, les éducs, les assistantes sociales, etc.↩︎